ENTRE LE REVE ET LA REALITE

Et si nous parlions tous ouvertement de ce qu'est réellement la vie d'un cladestin en Europe. Et si nous ouvrions un réel débat entre les deux rives de la Méditerranée sur le pour et le contre du choix de la clandestinité : un dernier recours, un choix véritable ou un échec certain ?


Je vous propose pour lancer ce débat des deux rives (en toute courtoisie) de visionner avant tout ce court métrage du Concours International de Courts Métrages sur le thème du dialogue interculturel 2005

Fils de tortue - ابن سلحفاة
Walid Mattar / TN
durée: 14':14''
production: Walid Mattar
année de production: 2005

synopsis
Partis clandestinement en Europe depuis 2mois pour l’un, depuis deux ans pour l’autre, Foued et Campa réagissent chacun leur tour devant la cassette de ce qu’ils ont dit et rêvé à Tunis, 3ans auparavant. Confrontation entre le passé et l’avenir, le rêve et la réalité, ces personnages parlent de leur parcours singulier. Daly lui, continue à fixer l’horizon vers un ailleurs.

Personnellement je comprends tout à fait ces gens, en particulier ces jeunes qui souhaite s'en aller. Je ne connais pas la tunisie, mais je sais pour l'algérie. Je connais la situation dans laquelle vivent la majeure partie des gens et franchement à leur place j'aurais le meme rêve !
Cependant, il est évident que ce rêve peut devenir cauchemar pour les sans papiers en france comme tout le monde le sait. La France n'est pas l'eldorado, contrairement à ce que pensent beaucoup !
Mais j'ai entendu des africains sans papiers en france dire : c'est dur mais meme si c'est dur c'est mille fois mieux que chez là bas !!!!

Si l'on émigre par plaisir ??? non certainement pas, et le rêve secret de tous ces immigrés c'est de rentrer aux pays... mais un autre pays ! Un pays où il fait bon vivre...travailler...etc

Moi je pars du principe que suitte à avoir de mauvaises conditions de vie, il vaut mieux en souffrir dans son propre pays plutot que dans un pays étranger. En clair, si l'immigration clandestine ne fait qu'apporter encore plus de précarité ou un niveau de précarité aussi critiqiue que la personne avait dans son pays d'origine, autant qu'elle reste chez elle pour ne pas avoir à souffrir en plus du déracinement et de la perte d'identité.

Maintenant si vous interrogez mon mari qui a immigré clandestinement et vécu pendant 6 ans dans l'illégalité en France et qui est très opportuniste voire joueur, il vous dira qu'il vaut mieux tenter sa chance ailleurs.
Lui a décidé de venir en france alors qu'il n'avait aucun problême financier en Tunisie puisqu'en Tunisie il travaillait et qu'en plus, son père qui a toujours vécu en france et lui envoyait beaucoup d'argent et de cadeaux. Il a fait le choix de risquer sa vie car il ne supportait l'idée de travailler en tunisie toute sa vie sans réellement récolter les fruits de son travail. Il m'a dit qu'en Tunisie, il sentait qu'il avait les ailes coupées, il ne pouvait pas mener à bien ses projets et ne supportait pas l'idée de dépendre de son père.
Par ailleurs, il m'a toujours dit qu'il s'est toujours senti mieux en france sans papiers que dans son propre pays en toute légalité et si c'était à refaire il referait, je dois d'ailleurs le freiner pour qu'il ne fasse pas de bétises !!!
Il faut dire aussi, qu'il a eu la chance de se retrouver très entouré par des tunisiens dès son arrivée en France : il n'a pas passé une journée où il se demandait comment il allait manger. Il avait un réseau de connaissance si développé qu'il a toujours travaillé et cela dans des conditions favorables tant au niveau du salaire que du temps de travail.
Quand je l'ai rencontré, s'il ne m'avait pas averti dès le premier jour, je n'aurais jamais pu imaginer ne serait-ce qu'une seconde qu'il était sans-papier : il avait un appartement, il travaillait avec le même patron depuis 2 ans, il sortait comme tous les jeunes de son âge...
Je connais énormément de jeunes tunisiens qui vivent clandestinement et qui s'en portent très bien mais je pense que certaines régions sont plus propices à leur "intégration".

Malheureusement, tout le monde n'a pas la chance d'avoir des conditions aussi favorables à son arrivée en France ou en Europe en général mais je peux comprendre que certaines personnes ont idée si erronée de l'europe et une situation si précaire dans leur pays d'origine qu'ils veulent tenter le tout pour le tout, quitte à y laisser leur vie. Comme m'a dit mon mari, il n'avait pas peur de la mort et rien à perdre quand il est venu.

Je relance car c'est un sujet qui me touche particulièrement et je suis très curieuse d'avoir d'autres points de vue.

Ma devise est que la misere est moins dur au soleil , mais si ce n'etais que ça !!!!!!
Je viens de lire dans un journal "liberte " en l'occurence que la moitié des algeriens est tenté par l'émigration clandestine ce qu'on appelle ici "harga" , il faut croire que le malaise est profond , personne ne croit en un avenir meilleur ils souffre au quotidiens du chomage des conditions de vie déplorable pour certain. alors je pense que comme l'a dit missboussa il vaut mieux tenter sa chance ailleurs , ils se disent que meme si c'"est dur , meme si ils doivent souffrir ils verront un jour le bout du tunnel , le fruit de leurs souffrance (si on peut dire ca ) chose a laquelle ils ne croient plus au bled .

c'est un sujet très intéressant qui ouvre sur un grand débat. Tellement de probabilités à aborder :
Le rêve d'un monde meilleur, de la richesse,
La fuite de la pauvreté, du chômage,
Fuir la famine, la guerre,
Fuir un pays qui n'offre plus de rêve et d'objectif concrêt, qui se complait dans une létargie sociale,
Fuir une culture qui ne correpond pas à ses visions de la vie,
Fuir sa famille qui met une trop grand pression culturelle ou économique,
L'envie de rejoindre une famille éloignée qui donne l'image de la réussite,
Fuir un pays qui ne peut répondre à ses ambitions professionnelles,
ou tout simplement sortir d'une prison continentale pour avoir envie de voir ailleurs, envie de liberté à grande échelle, fuir la censure et la corruption,

Il me semble qu'un pays ne peut retenir son peuple que si il s'en donne les moyens, retenir les jeunes par l'éducation, par la projection d'un futur meilleur, la perpective d'une réussite sociale, un non cloisonnement de la communication.

je suis complètement d'accord avec toi tuniseautrement ! tu as très bien résumé !

Je suis plutot d'accord égaleemnt avec tes dires Tunisieautrement, mais n'y a t-il tout de même pas un côté idéologique de se fait toute cette jeunesse de l'occident, notamment le Québec ou l'Europe, et qui souvent est en totale oposition avec ce qui leur est réservé au final ?

Moi ce qui me fait mal dans tout cela c'est que cette jeunesse, qui sous de fausses idées, de fausses visions, prennent le risque non seulement de mettre leur vie en jeu, mais de s'exiler soi-même de leur pays, de ne plus pouvoir revenir en arrière, et de refuser même en cas de douleur et de vie trop dure de faire marche arrière sous prétexte de ne pas avoir réussit.... C'est douloureux tout de même !!!!

Comme j'aurais du mal à m'exiler de mon pays, mais c'est un sujet qui mérite une réflexion plus profonde.

tout à fait marzou c'est en cela que je disais "rêve d'un monde meilleur", ces jeunes sont pris dans un engrenage de pression sociale, familiale, culturelle au point de se refuser le retour au pays. Quel gâchis pour ceux qui ont pris le mauvais chemin ! La prévention, la communication éviteraient surement autant de départ, leur pays devrait se mobiliser mais l'enjeu économique est prioritaire, quand on sait que 8 % de l'économie du la Tunisie le doit aux transferts d'argent des tunisiens vivant à l'étranger !!! on comprend !!!!

Voici un texte que je trouve bien explicite édité par le journal LE TEMPS (Journal tunisien) et qui devrait, selon moi, être plus souvent exposé afin de remettre la vérité à la vue de tous.



Jeunes et émigration: Les apparences trompeuses

« Saber ! Kahouetek khâlsa (ton café est payé) ». Puis, il sort, Mokhtar, la banane à la ceinture, une ceinture serrant un pantalon vieux de trente ans, il était à la mode quand la phosphorescence était en vogue, le blouson qu'il portait était aussi de couleur vive, si vive qu'elle éblouissait la vue, sa chemise bariolée était pareille à un arc-en-ciel, ses chaussures à éperons ressemblaient à celles des cowboys.

Notre Mokhtar (l'élu) avance en se dandinant vers sa BMW, il ouvre la portière et y monte comme s'il enfourchait un cheval. Le voilà se préparant à quitter la terre pour un voyage au septième ciel, il prend de grands airs, il fait la grosse tête qui est déjà très grosse, ce qui lui ajoute de la dimension. Il s'élance avec sa voiture comme une fusée ne voyant plus personne même plus Saber (le patient) auquel il vient de payer le café. Celui-ci n'a pas accepté cette générosité dans laquelle il voyait une humiliation.

On a oublié de vous dire que Saber est diplômé universitaire chômeur. Mokhtar, lui, c'est une vieille connaissance qu'il a côtoyé au quartier et pendant une période très brève à l'école primaire où il l'a largué à un niveau très bas, ses capacités intellectuelles très limitées ne lui ont même pas permis d'atteindre la sixième année. Ce raté a traîné en longueur et en largeur, il était chômeur, voleur, mendiant, journalier, arnaqueur, dénonciateur..., il a tout fait. Cette riche expérience l'a propulsé au rang privilégié de candidat à l'immigration clandestine.

Le modèle
Il était entré à l'Ouest par l'Est, l'un des circuits de ce trafic illicite, les temps ont changé et les sens sont inversés. Là, il était accueilli par une misère pire que celle qu'il a fouie. Il s'attendait à ce qu'on lui réservât un accueil chaleureux. Il était surpris qu'on ne lui eût pas proposé des contrats de travail pour l'aider à faire évoluer son économie et son mode de vie, qu'on n'eût pas fait défiler les femmes devant lui pour qu'il en choisît une qui serait sa prévention contre une éventuelle expulsion. Son abnégation et ses bonnes intentions n'ont pas été payées en retour, ses hôtes lui ont échangé l'indifférence et l'ingratitude contre son cosmopolitisme et sa xénophilie. Sa disposition à être leur serviteur ne lui a pas épargné la marginalisation et la disgrâce, il a retrouvé son statut, celui dont il était persuadé de se défaire rien qu'en daignant les honorer par sa présence. Mais à sa grande déception, il a trouvé un enfer à la place du paradis qu'il s'est constitué avec son imagination défaillante, trop fantaisiste et paresseuse qui esquissait des miracles, qui caressait des solutions de facilité, il aime le farniente.

Là-bas « chez lui », cet immigré vit dans la misère, il mange un jour sur deux, et la nuit, son abri dépend des circonstances, quelquefois, il est bien logé dans un hôtel, parce qu'il vient de réussir un coup, et la plupart du temps, il se couvre de la nappe du ciel attendant le père Noël pour le libérer de sa misère, mais c'est la police qui vient souvent lui offrir son hospitalité là où vous savez, dans ses dortoirs de luxe. Il y est fréquemment conduit non pas seulement pour vagabondage mais aussi et surtout à cause de son activité illicite, le trafic de stupéfiants, il détruit des vies pour s'offrir la belle vie derrière laquelle il court sans jamais l'atteindre.

L'été pour lui c'est la saison de la récupération aussi bien physique que morale, c'est le moment de se venger contre la misère et soigner son image très endommagée, l'endroit idéal de ces réparations ou plutôt le seul où celles-ci sont possibles c'es bien sûr le pays. Alors, il s'achète une bagnole à la casse et quelques fringues « à la mode » avec les quelques sous qu'il a économisés, et c'est parti pour des vacances d'une semaine ou deux entre les plages et les boîtes de nuit avec de belles compagnies auxquelles il offre des invitations au pays de l'Eldorado où il prétend être maître. Le séjour prévu est souvent écourté, car tout l'argent de poche est dilapidé et même celui laissé de côté pour le billet du bateau est grignoté, alors il vend son portable, sa montre, sa gourmette d'or..., n'importe quoi, ou il échange les sièges, les roues et les accessoires de sa voiture contre d'autres plus vieux, et combien ils sont nombreux ! Et il perçoit une petite somme en guise d'appoint, ainsi il pourra rentrer « chez lui ». Après s'être bien amusé et bien bronzé, il sera prêt à affronter la misère, et supporter l'affront en portant la haire et le calice.

Les mystifiés
C'est là où se leurrent nos jeunes, ils sont abusés par ces mystificateurs, ils croient à ce paradis chimérique qu'on leur miroite à travers ces glaces brisées. Il y a ceux qui comme Saber sont fragilisés par le désespoir, ne voyant aucune issue à leur situation, d'autres, jeunes et moins jeunes, qui ont tout essayé depuis longtemps, mais ils n'ont fait qu'égrener les années de disette, et aigris par la pauvreté, ils ont décidé de tourner le dos à la Mecque et de diriger le regard vers le Nord, c'est leur seul espoir. La troisième catégorie enfin de ces jeunes fascinés par le modèle de Mokhtar est celle des adolescents, ceux qui, sans jamais rien tenter, veulent immigrer, ils refusent de vivre ici, ils se considèrent comme étant des Européens dans leur mentalité et leur manière de penser, eux qui n'ont jamais pensé étant donné qu'ils ont quitté l'école prématurément.

On peut trouver des excuses aux premiers, ils se sont investis sans recevoir la contre partie tant espérée, c'est-à-dire le travail, le garant de leur dignité d'êtres humains, le moyen de se frayer un chemin dans cette vie et remplir un rôle dans la société, le chômage les laisse sentir qu'ils sont de trop dans celle-ci, l'alternative alors pour eux c'est d'en chercher une autre qui saurait les accueillir et les prendre en charge. On peut également être compréhensifs à l'égard des seconds, les laissés-pour-compte, eux, ils n'ont pas le choix, ils ont perdu patience et ils sont persuadés qu'attendre encore ne leur serait pas salutaire, d'ailleurs, ils n'ont rien à perdre mais tout à gagner, car même si les dieux ne sont pas de leur côté et qu'ils ne parviennent pas à améliorer leur situation, ils auront quand même essayé, après tout, quelle différence y a-t-il entre la misère d'ici et celle d'ailleurs ? Peut-être que celle-ci serait plus clémente, et même dans le cas où elle serait pareille que la première ou pire, elle serait plus supportable, parce que ce serait une nouvelle expérience, on aurait à gérer notre misère avec d'autres manières, donc cela nous permettra au moins d'échapper à la routine et au stress, le salut serait dans la nouveauté. Quant à ces jeunes qui n'ont jamais travaillé, qui estiment que l'environnement où ils se trouvent ne leur convient pas et qu'ils doivent donc changer d'air, ils sont victimes pour la plupart de la passivité de leurs parents qui n'assument pas comme il se doit leur rôle de tuteurs en alternant conseils et sévérité pour les obliger à suivre une formation professionnelle, au contraire, certains parmi eux vont jusqu'à les encourager à partir et leur fournissent même l'argent nécessaire, ils veulent que leurs enfants deviennent des immigrés comme le parent ou le voisin, c'est une question de prestige.

Les rêves ensevelis
C'est ainsi que les victimes du chômage, de la misère et des ambitions démesurées se jettent dans la mer, espérant atteindre le rivage de la vie, mais c'est celui de la mort qui les accueille, ils sont ensevelis entre les rochers au fond de cette tombe que la chair humaine n'assouvit jamais. Ils ont pris un billet sans retour, le chômeur, le miséreux et l'ambitieux sont tous partis à jamais et leurs rêves avec, ces derniers sont dilués dans l'eau salée de la mer. Enfin , ils peuvent connaître la paix, plus de soucis pour l'avenir, puisqu'ils n'en ont plus, mais en mettant un terme à leurs blessures et à leurs souffrances, ils en ouvrent d'autres encore plus béantes et plus lancinantes : leurs familles auront à endurer un supplice pour toute la vie, ceux d'entre eux qui souffriront le plus sont les parents qui ont acheté la mort à leurs enfants avec leur propre argent, les regrets ne les quitteront plus jamais jusqu'au moment où ils les rejoindront, d'ici là, leur vie sera un vrai calvaire.


(Source : « Le Temps Lundi » (Hebdomadaire – Tunis), le 23 février 2009)