LA MAGIE DE TIHINEN
Dans une tribu touareg vivait un petit garçon nommé Bali. Ses parents étaient désespérés de le voir si turbulent et si méchant. Il colportait des médisances, mentait et détruisait les jouets que lui fabriquait son père. Il était jaloux, se moquait des autres enfants, ne partageait jamais sa galette de semoule comme le faisaient ses amis avec lui, n’aidait jamais ses parents pour puise l’eau, ni pour surveiller les chameaux. Un jour il demandèrent conseil à Goumari, son grand oncle aveugle. Sage et clairvoyant de la tribu il leur répondit ceci « ne vous inquiétez pas, Bali changera, il deviendra bon, gentil, attentionné et doux comme le miel, vous serez fiers de lui ». Puis il se tut subitement et un voile de tristesse se posa sur son visage….
Quelques semaines plus tard, alors que le père et la mère de Bali devaient partir pour Tikoubaouine rendre visite à des parents malades, une forte tempête de sable se leva. Le vent de sable rendait le voyage périlleux, ils décidèrent alors de confier Bali à son grand oncle Goumari.
Longtemps après, un soir, Goumari, prit tendrement son neveu par la main, ils s’assirent sur le tapis sous sa tente et il lui dit « tu sais que tes parents t’aiment beaucoup, c’est pour cette raison qu’ils ne t’ont pas amené avec eux, comprends-tu cela ? Alors vois-tu, le souffle du vent m’a apporté à travers les Tassilis un message bien au delà de l’Erg Admer, ils me disent qu’ils sont fiers de toi et te souhaitent une vie douce et belle ».
Bali comprit que ses parents ne reviendraient jamais et resta abasourdi par cette nouvelle, puis le chagrin étreignit tellement fort son petit cœur qu’il explosa en sanglots. Son oncle le prit dans ses bras où il se blottit, se laissant bercer doucement.
A son réveil, Bali fut animé d’une colère et d’une fureur sans nom. Il se mit à maudire ses parents, puis son oncle. Il le traita de vieux fou aveugle, il déchiqueta la galette de semoule de son petit déjeuner et jeta les morceaux dehors. Puis il jetta du sable dans la théière que son oncle avait préparé pour leur thé. Ensuite il se mit à crier comme si son oncle le frappait. Les voisins accoururent aussitôt et purent constater que l’oncle Goumari était paisiblement assis sur le tapis, son neveu saccageant tout sous la tente.
Goumari d’une voix douce invita simplement les voisins à les laisser seuls. Bali fut surpris de ne sentir aucun colère dans la voix de son oncle aveugle, il reste face à lui se demandant ce qui allait se passer.
Goumari lui dit « Bali je suis très triste pour toi, sais-tu pourquoi ? »
- Mes parents sont morts
- Tu sais on meurt tous un jour…
- Alors pourquoi ?
- Parce que tu as souillé ton cœur par la haine, la colère, la rancœur, la jalousie, l’égoïsme et l’ingratitude. Tu as souillé ta bouche en insultant et en te moquant des autres, dont moi, ton oncle aveugle est différent de toi : tu as souillé tes mains en détruisant et en jetant tout ce qu’on te donne. Tu as souillé tes yeux en admirant les dégâts, en regardant méchamment les autres, tu as souillé tes oreilles en écoutant les ragots et les mensonges des gens qui laissent leur cœur se faire ronger par la jalousie au lieu de le nourrir d’amour. Tout ceci est pour moi bien plus grave que la mort, tes parents sont de mon avis et me chargent d’ailleurs de te dire que l’heure est venue pour toi Bali de guérir et de changer, si tu le veux bien sûr.
- Guérir de quoi, qui va changer ? Où çà, quand, tout de suite ?
- Guérir en retrouvant tout l’amour que tu portes en toi, en trouvant ton propre miroir : un être qui ne voit pas le mal, qui ne dit pas de mal, qui n’entend pas de mal, qui ne fait pas de mal….
- Je ne comprends pas, vieux f…. pardon mon oncle.
- Bali veux tu m’écouter encore un peu ?
- Oui mon oncle.
- Alors suis moi, prends d’abord les deux gourdes d’eau que tes parents ont laissés pour nous. »
L’enfant prit les deux gourdes d’eau fraîches sur son épaule, et tint la main de son oncle en marchant lentement, calmement, presque solennellement.
Quand ils furent loin de leur campement, ils s’arrêtèrent, l’oncle s’assit sur le sable et invita son neveu à faire de même et lui dit :
« tu as compris ce que je t’ai dit tout à l’heure. Alors si tu es d’accord pour guérir, suis mes indications et que Dieu te viennes en aide pour le reste ».
Bali sentit ces paroles raisonner en lui comme une promesse sacrée, quelque chose d’indéfinissable se passait, son cœur était comme flottant au delà des dunes, son petit corps était assis, aussi fragile et vulnérable qu’un oisillon. Soudain il entendit « Va, tu es prêt, prends la direction d’Essendilène, ne t’en détourne pas, c’est par là que tu peux guérir, tu comprends quand tu arriveras et quand tu reviendras, fais-moi signe ».
Il est fou, pensa Bali, il est aveugle et il m’envoit dans une direction qu’il ne voit même pas ! L’oncle Goumari perçut cette pensée et ajouta avec un grand rire joyeux :
« Oui Bali, je suis fou, je suis veux, et….. je vois très bien ! »
L’enfant pris alors le chemin d’Essendilène. Il savait que s’il ne revenait pas dans l’après midi, son oncle ferait envoyer toute la tribu à sa recherche. Il marcha longtemps, bercé par la douce chanson du vent sur le sable. Les dunes étaient complices de cette marche au but mystérieux. Il repensa à tout ce que son oncle lui avait dit ce matin « Ne te détourne pas de ton chemin, c’est par là que tu peux guérir… »
Alors vite il pressa le pas et garda le regard fixé sur l’horizon, puis il entendit vaguement des voix, il marcha plus vite encore, les voix devinrent plus claires. Il dépassa la dune et soudain il vit deux énormes chameaux couchés et las, un homme et une femme visiblement épuisés et adossés à leurs chameaux.
Quand il le virent la femme lança :
« Dieu t’envoie à nous mon fils, il a entendu nos prières, tu nous sauves la vie ! »
Bali comprit d’instinct pourquoi son oncle lui avait demandé de prendre les deux gourdes d’eau. L’homme et la femme se désaltérèrent, ils le remercièrent et la femme ajouta : « Nous te sommes reconnaissants pour…. Elle aussi » la maman lui montra un paquet d’étoffes bleue d’où émergeait un petit visage si tendre, si beau « tiens prends-là dans tes bras mon sauveur. Elle s’appelle Tihinen ! »
Bali fut d’abord ébloui par la beauté de ce petit visage, et surtout par la douceur de ses grands yeux noirs qui le contemplaient avec innocence, il sentait ce petit corps contre son cœur et la magie fit son effet, comme un feu d’artifice son cœur explosa d’amour, de joie ; oui, ce bébé qui lui souriait c’était son miroir. Bali se rappela que lui aussi était comme elle, un être plein d’amour et d’innocence, il était guérrit, il avait compris les prédictions de son oncle, il sentit son être baigné d’une lumière venant de l’infini…. l’amour de ses parents, l’amour de son oncle, de ses amis, de cette petite fille, l’amour de l’univers entier…. Il avait envie de devenir enfin lui-même : un garçon plein de vie et de joie, comme ce bébé innocent.
Il n’avait plus envie de lâcher Tihinen, sa guérisseuse joyeuse et gazouillante. La maman lui dit en souriant :
« Tu serais un merveilleux grand frère pour elle »
Bali lui lança sans réfléchir :
« Je veux bien ? »
- Mais où sont tes parents ?.
- Ils sont par delà les dunes avec l’esprit du vent et ils m’ont confié à mon oncle.
- Alors guides-nous vers ton campement, nous aimerions lui parler.
Comme Bali ne voulait plus lâcher la petite fille ils le firent monter sur le dos des chameaux et c’est ainsi qu’ils arrivèrent au campement en milieu d’après midi.
Le soir, un grande fête fût donnée en l’honneur de l’arrivée du couple et de l’adoption de Bali par sa nouvelle famille.
Cette nuit là, toutes les étoiles de l’univers se mirent à briller dans le ciel des Tassilis n’Ajjer d’une façon plus étincelante pour célébrer le bonheur de Bali qui avait trouvé le chemin de son cœur. Il retrouvait enfin une vie douce et lumineuse comme le soleil couchant sur les dunes de l’Erg Amguid et forte comme le thé qui abreuve les voyageurs au cœur des montagnes de l’Ahaggar. Son oncle vint l’embrasser et lui murmura à l’oreille « nous sommes tous fiers de toi mon enfant, tu as sauvé des vies et retrouvé ta vraie nature de douceur de lumière et de courage. Regarde, sens, vois combien nous t’aimons Bali. Ecoute le murmure du vent dans les branches d’acacia, cette fête est pour toi »
Extrait des Mémoires du Sahara – Contes et légendes berbères – Aux éditions Séquoia