La circoncision : rituel ou mutilation ?
La circoncision « hygiénique » date des médecins de l’Angleterre victorienne, qui l’avaient suggérée pour lutter contre... la masturbation. A la fin du XIXe siècle, Mr Kellogg, pharmacien inventeur des corn flakes, prônait la circoncision sans anesthésie des petits garçons pour lutter contre la masturbation masculine. Pour les filles, il conseillait de brûler le clitoris à l’acide...
La circoncision, est-ce (très) douloureux ? Les circoncisions religieuses, au moins chez les Musulmans, se font sans anesthésie, vers 7 ans dans les pays du Magreb et à la puberté en Afrique noire. D’ailleurs, la pratique traditionnelle, au Maroc, c’est qu’un membre de la famille (oncle ou tante, souvent) trouve un prétexte pour "enlever" l’enfant à ses parents et le ramener circoncis à la surprise générale ; une fete est alors organisée. Je me demande comment l’enfant vit celà. A votre avis, est-ce moins douloureux à 8 jours que vers 7 ans ou à la puberté ? D’abord, la raison pour laquelle la circoncision se fait à des dates différentes chez les Juifs et les Musulmans est liée à la Bible : Ismael (le premier-né qu’Abraham a eu avec sa servante et qui serait l’ancêtre des Musulmans) a été circoncis - le même jour qu’Abraham lui-même - alors qu’il avait 13 ans, tandis qu’Isaac (premier-né qu’Abraham a eu avec sa femme Sarah) l’a été à 8 jours. Evidemment, chaque groupe ethnique aura tendance à défendre ses propres pratiques.
On pourrait penser (mais on n’en a pas la preuve) qu’il est plus traumatisant (physiquement et psychologiquement) d’être circoncis à 7 ans ou à la puberté que ça ne l’est à 8 jours. Mais comparer des nouveaux-nés et des adolescents, c’est très problématique. Cela dit, des études ont montré que les nourrissons circoncis, quand ils sont vaccinés par la suite, ont des réactions à la douleur plus intenses que les nourrissons non circoncis. Ce qui semble indiquer que la circoncision les a sensibilisés à la douleur.
Il faudrait interroger des hommes qui ont été circoncis à différents âges (donc, dans différentes ethnies), leur demander quel souvenir ils ont de leur circoncision, à évaluer la gêne sexuelle (ou l’absence de gêne), et les comparer. Comme on peut le penser, ce serait très discutable : si on ne se fonde que sur le souvenir de la douleur on pourrait en tirer comme conclusion que la circoncision à 8 jours (qui ne laisse pas de souvenir) est moins traumatisante que la circoncision à 7 ou à 15 ans.
Or, les sentiments personnels comptent aussi : un athée circoncis à l’âge de 8 jours par sa famille juive peut très bien considérer cette circoncision (sans souvenir douloureux) comme une mutilation symbolique parce qu’imposée, tandis qu’un jeune Sénégalais circoncis à l’âge de 13 ans au cours d’un rituel tribal peut garder de son rite de passage un souvenir de fierté et d’appartenance, même s’il a été douloureux.
Là encore, la subjectivité, qui n’est pas dénuée d’importance. n’est pas mesurable. Or, on ne peut pas purement et simplement la passer sous silence sous prétexte qu’un rituel paraît (à ceux qui ne le pratiquent pas) « archaïque » ou « barbare ». C’est un point de vue ethnocentrique, et on sait ce que ça peut donner...
Si on circoncit un garçon, peut-on lui éviter de souffrir ?Sans doute, mais pas forcément en l’endormant : il ne faut pas oublier que l’anesthésie générale n’est pas une procédure sans danger. Quel que soit l’âge de l’enfant, on pourrait au moins utiliser un anesthésique local (xylocaïne, crème Emla), comme pour n’importe quel geste de petite chirurgie (suture, retrait d’un grain de beauté, retrait d’un implant, etc.).
Encore faudrait-il que cette anesthésie locale ait été étudiée - en comparant la réaction, les pleurs, etc. d’enfants circoncis avec anesthésie locale à celle d’enfants été circoncis sans anesthésie locale, les uns et les autres avec l’accord des parents.
Même si on démontrait que l’anesthésie locale sert à quelque chose (ce qui n’est pas prouvé, car pour un geste si court, l’effet anesthésique d’un placebo - la goutte de vin donnée par les mohels juifs, ou un biberon sucré - est peut-être tout aussi efficace), il faudrait ensuite que l’anesthésie locale soit
incluse dans le rituel. Or, les rituels religieux (et leurs exécutants) sont souvent rétifs aux intrusions médicales.
En résumé :
la circoncision systématique pour motif médical n’a aucune raison d’être ;
la circoncision médicale chez l’adulte pourrait être une protection supplémentaire (
en plus du préservatif, mais pas « à la place » du préservatif) contre la contamination par le VIH, mais ça demande confirmation ;
alors que l’excision rituelle est
toujours une mutilation ayant le plus souvent - c’est démontré par de nombreuses enquêtes - des conséquences lourdes, immédiates ou à long terme pour la sexualité des femmes excisées,la circoncision rituelle, pratiquée de manière différente d’une ethnie à une autre n’est pas - et de loin - une mutilation aussi importante que l’excision. On est en droit de penser que la plupart des hommes circoncis n’en souffrent pas à l’âge adulte. Ca ne veut pas dire qu’aucun n’en souffre. Mais là encore, avant d’affirmer tout ou son contraire, il faudrait leur demander leur avis, et le recueillir.
Avant de remettre la circoncision en question, on ne pourra sans doute pas faire l’économie d’études très poussées sur ses complications immédiates et ses conséquences, ethnie par ethnie. Ça n’est évidemment possible qu’avec le concours de chaque groupe ethnique, de manière indépendante. Ça ne peut en aucune manière, à mon sens, être imposé de manière autoritaire.
La richesse des symboles sans la violence des rituelsLes humains ont besoin de symboles. De tout temps, ils ont pratiqués des rituels violents pour faire symboliquement barrage à la violence des éléments ou des phénomènes qui les menaçaient. Il est impossible de faire disparaître du jour au lendemain une pratique symbolique quand elle est profondément ancrée dans une croyance ancienne. Mais si cette pratique est nocive pour l’individu, on peut essayer de la remplacer, par une autre qui puisse être porteuse des symboles de cette croyance sans atteinte à l’intégrité de l’individu. On peut conserver les symboles sans la violence des rituels.
En Polynésie, pendant des milliers d’années, nombre de tribus vénérant le Dieu Requin lui offraient des humains en sacrifice. Aujourd’hui, elles lui offrent des fruits ou les entrailles d’un cochon.
Les rituels des populations évoluent avec le temps. On peut rêver qu’un jour la circoncision et l’excision soient remplacées par le port d’un bijou...