Il n'y a pas d'eau à Toujene, le village se meurt....
Je suis arrivée la veille.
Dès tôt le matin, je décide d'aller moi aussi à la source chercher de l'eau. Je remplirai la réserve de la douche, elle sera chauffée par le soleil dans la journée...
Petit quart d'heure de marche avec mon bidon.
Les femmes sont là, comme au lavoir anciennement chez nous, elles papotent, se taisent à mon arrivée. J'attends mon tour, il y a au moins 10 personnes.
Je fais vraiment touriste avec ma casquette sur la tête, j'irai mettre un foulard tout à l'heure...Pas une ne parle français, je tente quelques mots d'Arabe, échec.
Chez Béchir un peu plus tard : les filles de la maison -Maïssa, 10 ans et Abir 5 ans - vont chercher l'eau à la source avec l'âne. Je repars avec elles, je monte même sur l'âne (une fois le village passé!)
Un Japonais dans un 4X4 FRAM veut les photographier, Maïssa refuse fermement -mais moi j'ai le droit, je suis son amie...-
A la source, Maîssa, 1 an de français seulement mais déjà beaucoup de conversation, parle avec les femmes, quelques jeunes filles tentent quelques mots de français, moi quelques mots d'Arabe encore. Les femmes rient, l'ambiance s'est détendue.
Nous avons de la chance d'avoir un âne, les femmes portent leur bidon de 20 litres sur le dos, attaché autour du front par un foulard.
Nous rapportons l'eau au reste de la famille, on me présente la grand-mère, les filles, belle-filles, cousines, bébés.
C'est même moi qui porte la dernière née, Fatma, adorable poupée frisée de 10 mois jusque chez elle.
J'ai eu une demi-seconde d'hésitation,je l'avoue :Elle est trempée, car sans couches, un peu "crad"car se balade à 4 pattes toute la journée dans le sable et les crottes des biquettes, et je n'oserai pas demander de l'eau pour me laver, car trop précieuse, mais à la guerre comme à la guerre, je l'emmène !
Je mange avec Leïla, la femme de Béchir, et ses filles. Les hommes ont déjà mangé. Je suis gênée, Leïla a mis de la viande dans son couscous, je lui dis qu'elle n'est pas obligée. Les filles mettent un CD de musique arabe, et toutes fières, me font une démonstration de danse orientale. Abir a même revêtu une "robe" de sa mère, qui m'explique qu'en fait les robes sont constituées de 4 mètres de tissu qui sont savamment repliés et tenus par une ceinture en laine à la taile et deux bijoux aux épaules.
Après la sieste, promenade solitaire dans le village.
Désolation, maisons abandonnées partout. Une scène cocasse : des chèvres ont envahi la cour de l'école, et leurs bergères les relancent pardessus le mur d'enceinte( 2 m de haut) ! Je marche dans les rues en pente derrière une femme qui porte trois énormes sacs de grain sur le dos.
Retour chez Béchir : il m'a proposé de l'accompagner faire paître ses chèvres dans la montagne, suite à une demande d'excursion de ma part. Mais c'est décidé, je vais rester là avec les femmes, ma place y est plus appropriée .Partir seule avec un homme dans la montagne ne serait pas très poli je crois.
Les femmes tissent les tapis dans une pièce à semi-enterrée dans la montagne, au frais, mais dans la pénombre. Il y a 3 métiers à tisser. Je reste fascinée par la dextérité de leur travail, sur l'envers. "Le dessin est dans la tête" m'explique Leîla. On m'offre du thé. Leîla me glisse discrètement : "la grand-mère t'a dit :Bischfeh ". Je réponds promptement : Ichfik ! La grand-mère sourit, elle est contente, je connais les manières....
Les bébés dorment dans un hamac dans la pièce, ou se baladent à 4 pattes, allant quelquefois tirer les fils que la grand-mère enroule consciencieusement sur des pieux à terre, pour faire la trame d'un futur tapis.
Puis, dehors, ensemble, les femmes vont monter les fils sur les structures en bois. "Ce sera le premier tapis de Maîssa; mais les jeunes filles d'aujourd'hui ne veulent plus en faire" me dit Leïla.
Nouveau départ pour la source, avec une copine de Maîssa, aussi blanche de peau qu'une Européenne. Et au village, j'ai aussi vu des petites filles aussi noires que des Africaines....
Cette fois-ci, nous sommes seules, on s'arrose un peu avec le tuyau, pour rire, mais pas trop, l'eau est trop précieuse.
Pour ne pas être en reste, j'ai pris 2 bidons de 10 litres, un dans chaque main. Bonjour les courbatures demain ! La petite cousine , Moneh, 5 ans, porte aussi 2 bouteilles pleines. Elle s'est ébouillantée au bras avec une casserole de sauce de couscous il y a quelques temps. Je n'ai pas osé demander comment la famille avait pu payer l'opération à l'hôpital de Gabès...
Dîner, entre femmes encore. Fatma, la petite poupée, s'est endormie sur les genoux de son papa, dehors.
Il est 22 heures. Maîssa, toute fière, s'installe derrière son premier tapis.Je m'éclipse discrèment.
Des chiens aboient dans la nuit, des ânes braient.
Demain, et après-demain, et encore et encore, les femmes de Toujene iront inlassablement chercher l'eau à la source, et tisseront savamment leurs beaux tapis...