Islam et féminisme : une appropriation mutuelleDans le feu du débat concernant la question du foulard en Occident, on entend souvent affirmer que l’Islam est "misogyne" et restrictif à l’égard des femmes. Compte tenu de la condition sociale actuelle des femmes musulmanes, loin d’être égale à celle des hommes dans les sociétés musulmanes, il est difficile pour l’Occident d’imaginer l’apport positif de l’Islam à l’endroit de la femme.
Tandis que les mouvements féministes s’appuient, pour la plupart, sur des valeurs, une pensée et une idéologie occidentales, le féminisme musulman semble apparaître comme un concept conflictuel puisque ce mouvement tire sa compréhension d’un paradigme religieux, celui de l’Islam, religion prétendue être l’antithèse des valeurs défendues par certaines féministes. En effet, alors même que le concept " féminisme musulman" questionne et interpelle de par son antinomie apparente dans les termes, certain(e)s n’y voient en revanche nulle incompatibilité, bien au contraire. Il n’est pas surprenant d’ailleurs de constater que nombreuses sont les féministes qui perçoivent en l’Islam un opposant majeur aux mouvements féministes ; vision étayée par des représentations sociales et des stéréotypes discréditants relatifs à la question de la femme musulmane.
Les tenantes d’un "féminisme musulman", pour leur part, ne voient nulle incompatibilité entre adhésion à une foi et revendication des droits de la femme, l’Islam leur ayant déjà accordé un certain nombre de droits qu’elles revendiquent aujourd’hui en se réappropriant le débat religieux.
Le féminisme musulman est apparu comme un phénomène global dans les années 1990 et s’étend depuis à une vitesse impressionnante jusqu’à ce début de siècle. Il faut dire cependant, que bien qu’il soit un concept récent, le lien entre Islam et féminisme remonte déjà au 19e siècle, à 1890 précisément.
Ainsi, depuis un certain nombre d’années, nous assistons à une dynamique de femmes, en marche dans le monde arabo-musulman mais également en Occident, développant un discours et une pratique articulés à l’intérieur même du cadre de référence islamique et tirant sa compréhension des sources scripturaires (Coran et Sunna) tout en demeurant en quête de droit et de justice pour les femmes au quotidien [2].
Ce mouvement féministe, émergeant de l’intérieur même du féminisme, a simultanément suscité des sentiments de peur mais également d’espoir à travers le monde, en se trouvant à la fois contesté et revendiqué. Nombre de mouvements de femmes s’identifient par l’Islam en remettant en cause l’universalisme du féminisme ou du moins l’"unicité" du modèle féministe en démontrant avec force et détermination la nature plurielle du féminisme. Les premiers mouvements féministes de femmes musulmanes sont apparus lors de leur acquisition des connaissances en sciences islamiques et de leur spécialisation en sources scripturaires et en processus d’interprétation du texte religieux. La sacralisation de l’enseignement religieux explique d’ailleurs pourquoi, malgré une forte tradition patriarcale, les femmes n’étaient pas exclues de l’instruction. L’histoire musulmane offre même, à différentes périodes, de grandes figures féminines réputées pour leur savoir général et religieux en particulier.
Cet accès aux études et le "renouveau" de leur engagement leur ont octroyé la possibilité de promouvoir une relecture du Texte à la lumière du contexte et de l’éthique musulmane, tout en produisant une réflexion profonde et une remise en question des pratiques culturelles et coutumières, principales responsables de la décadence de la condition de la femme musulmane. Amina Wadud [3], spécialiste de ces questions, apparaît comme une figure de proue du féminisme musulman à l’échelon international. Dans son interprétation du Coran [4], elle combine la méthodologie des sciences islamiques avec les nouveaux outils des sciences sociales, tout en ayant des assises fermes et centrales à l’intérieur de la pensée musulmane. Elle comprend que la modernité met à l’épreuve les identités de par les changements toujours plus rapides qu’elle engendre et le rapprochement des frontières qu’elle implique. Elle considère qu’on ne peut légiférer sur des questions de femme sans les femmes comme agents de leur propre définition et que cette réforme ne doit pas se réaliser anarchiquement mais bien prendre en compte les sources premières de l’Islam, la jurisprudence passée et le contexte.
Déjà, les femmes sont très activement engagées dans la modernité car celle-ci les a mises face à leurs responsabilités en tant qu’actrices de leur épanouissement personnel et de celui de l’humanité tout entière. Elles n’inscrivent pas leur lutte dans un combat contre l’Islam mais renforcent leurs positions à partir des sources scripturaires ; elles y discutent les principes de la Charria et son élaboration avec précision, pour ne pas laisser le monopole aux lectures traditionalistes portant sur la question de la femme. Elles considèrent l’Islam comme la voie spécifique de leur libération et aspirent à une interprétation libérée de toute lecture "masculine".
Il est en outre inconcevable d’affirmer l’existence d’une barrière infranchissable entre le féminisme et l’Islam et de ne voir en ce dernier que le porte-parole des intérêts et des privilèges masculins. Ces mouvements de femme s’inscrivent dans un cadre purement et simplement islamique : il s’agit d’un féminisme à l’intérieur du féminisme et qui part "d’une appartenance religieuse pour arriver à des principes universels". Cette approche féminine et l’adoption de deux référents, l’un spécifique, à savoir la dimension religieuse, et l’autre universel, doivent leur permettre d’inscrire leurs revendications dans leur contexte, tout en étant le garant d’une dynamique harmonieuse entre des revendications pour plus de justice à l’endroit des femmes et une identité musulmane assumée.
Se libérer à partir d’un discours de l’intérieur de l’Islam, tel est le défi des féministes musulmanes : par le biais d’une participation active dans toutes les sphères de la société, ces femmes proposent un autre modèle de femme émancipée et libre
[1] Cf Margot Badran, The origin of feminism in Egypt in Current Issues in Women History By Arina Angerman, Geertebinnenia Annemiekerkennen, VetiePoets and Jacqueline Zirkzec, London Routledge 1989
[2] Cf Margot Badran, Islamic feminism : What’s in a name?, in Al-Ahram Weekly, Le Caire, 17-23 janvier 2002)
[3] Professeure en sciences islamiques (Islamic studies) à l’université du Commonwealth de l’Etat de Virginie et à Harvard dans le département de théologie.
[4] Auteure de la première interprétation du Coran par une femme dans le monde occidental "Le Coran et la femme : relire le Texte sacré dans une perspective féminine ".
Par Malika Hamidi Yenoo Belgique.
Les droits de la femme en IslamIl est caractéristique d'observer aujourd'hui que lorsque l'on s'interroge sur la Loi Islamique (Shariâ), l'une des premières images qui vient à l'esprit est celle de la femme, que l'on suppose méprisée et occupant un rang inférieur dans la communauté musulmane. Traiter un sujet aussi important nous pousse à nous tourner vers les sources authentiques de la tradition musulmane.
Premièrement, la femme est considérée sur le plan spirituel comme l'égale de l'homme. Le Coran affirme : "En vérité, je ne laisse pas perdre l'œuvre de celui qui agit bien, qu'il soit homme ou femme. Vous participez les uns des autres." (3/195)
La femme peut s'élever au plus haut degré de la spiritualité. C'est ainsi que la mère de Jésus (as) est pour les musulmans un modèle de pureté. "Et lorsque les Anges dirent : "O Marie ! Dieu t'a élue, t'a purifiée et t'a élue au-dessus des femmes des mondes" (3/142).
Sur le plan communautaire, l'islam a accompli une véritable révolution sociale. D'abord en soulignant que la tendresse et la miséricorde sont les fondements de la vie conjugale : "Parmi les signes de Dieu, il y a le fait qu'il a créé à partir de vous-mêmes pour vous, des épouses pour que vous trouviez auprès d'elles le calme et le gîte ; et qu'il a établi entre vous des liens de tendresse et miséricorde. Il y a en cela des signes certains pour des gens qui méditent" (30/21).
Ensuite, l'Islam a accordé à la femme tous droits légitimes :
1) LE DROIT À LA LIBERTÉ
La liberté de croyance. Nul ne peut contraindre une femme à embrasser une religion. La liberté de choisir son conjoint. Une jeune femme était allée voir le Prophète (saw) lui déclarant que son père voulait absolument la contraindre au mariage. Le Prophète (saw) lui laissa le choix de refuser ou d'accepter. Cela se passait au 7e siècle. Or, ce n'est que très récemment qu'en Europe, on commençait à reconnaître ce droit à la femme. En outre, la femme musulmane peut faire en sorte que soit stipulé dans son contrat de mariage que son mari ne prendra pas une seconde épouse.
En autorisant la polygamie cependant, l'Islam est fidèle à sa vocation universelle : dans certaines situations en effet, comme en période de guerre où le nombre de femmes finit par dépasser celui des hommes.
Dans de telles circonstances, si l'on exclut la prostitution, le désordre sexuel ou le célibat forcé pour les "femmes en surnombre", la polygamie reste rationnellement la seule solution. Rappelons qu'au terme de la Seconde Guerre mondiale, de hauts responsables européens s'étaient déclarés prêts à légitimiser la polygamie pour prévenir la marginalisation et l'exploitation de dizaines de milliers de femmes. D'ailleurs, il y a une certaine hypocrisie dans l'attitude qui consiste à critiquer la polygamie parce qu'elle rend légale une situation de fait, tout en admettant que les hommes puissent vivre dans l'ombre et illégalement quelques aventures extra conjugales.
2) LE DROIT À LA PROPRIÉTÉ
La femme en Islam peut avoir des propriétés. Elle peut établir des contrats, faire des échanges, s'engager dans le commerce. Le Coran déclare : "Aux hommes revient une part de ce qu'ils auront gagné et aux femmes revient une part de ce qu'elles auront gagné" (4/32). Elle possède ainsi une personnalité juridique complète. Mariée, elle reste maîtresse de son avoir. En Europe, ce n'est qu'à la fin du 19e siècle qu'elle a obtenu ce droit. Auparavant, l'ensemble de ses biens devenait, une fois mariée, la propriété de son mari.
3) LE DROIT A L’INSTRUCTION
L'Islam a décrété que la recherche du savoir est un devoir qui incombe à tout musulman et à toute musulmane. Aux premiers temps de l'Islam, les hommes n'hésitaient pas à interroger sur des questions d'ordre juridique Aïcha (raa), la femme du Prophète (saw), dont l'autorité en la matière était reconnue par les plus grands savants de l'Islam.
Aujourd'hui encore dans un grand nombre d'Universités musulmanes, les femmes jouent un rôle essentiel, aussi bien dans l'enseignement des sciences techniques que des sciences religieuses.
Présenter donc la femme comme un être dépersonnalisé et privé de ses droits les plus élémentaires constituent une grave erreur qui ne résiste pas à un examen sérieux
Hani Ramadane
Article relevé dans le Bulletin du Centre islamique de Genève (juin 2000).