Voix de Miel et de Révolte
Le feu couvait depuis longtemps sous la cendre dans le monde arabo-musulman, où la chanson a souvent tenu le rôle de média parallèle, en réponse à une communication d’Etat omnipotente, dominatrice et sûre d’elle. Pire, celle-ci en était toujours à demander aux peuples, soumis au régime de la diète, de la violence et de l’injustice, de ne se souvenir que des « services rendus » autrefois par les guerres de libération. Mais les gouvernants ne pouvaient indéfiniment réclamer à leurs populations de renoncer à leurs attentes légitimes en bloquant la mémoire sur les luttes anciennes pour l’indépendance. Bien des artistes se sont chargés de le leur rappeler, avec une tranquille détermination marquant le désir partagé de transformer en réalité l’aspiration démocratique. Le système les a « invités », après avoir essayé d’en étouffer quelques uns sous les honneurs, à se soumettre ou à se démettre. Certains sont morts pour leurs idées (Lounès Matoub, Cheb Hasni…), d’autres ont alors pris le chemin de l’exil (Idir, Baâziz, Emel Mathlouthi, Souad Massi, Amazigh Kateb…). Leurs chants ont servi de bande son à toutes es manifestations. Ce qui s’est passé en Tunisie et en Egypte et les mouvements qui secouent le Yémen, la Libye, Bahreïn ou la Jordanie en témoignent encore et toujours. Depuis sa première édition, le Festival Arabesques n’a eu de cesse de programmer des chanteurs résolument engagés, pas seulement que dans le « mieux-disant culturel », mais également soucieux de la soif d’expression libératrice et de l’élévation des peuples qu’ils représentent. On se souvient des passages de Nass El Ghiwane, Idir, Souad Massi, Amazigh Kateb, Magyd Cherfi, Mouss et Hakim, pour ne citer que ceux-là. Cette année ne déroge pas à la règle avec la présence des tunisiennes Emel Mathlouthi et Syrine Ben Moussa, sous le signe du jasmin, et de Baâziz, l’artiste le plus honni et haï par les généraux algériens. Ils représentent une «jeunesse network», twitter et parabole qui a su tirer le meilleur parti de ces différents outils de communication. Pour tous ces artistes, la création demeure toujours une référence personnalisée à une pression sensible du réel. On peut les définir comme des sismographes lucides qui enregistrent l’existence de l’univers à travers leur sensibilité. Le Festival Arabesques reste attaché au fait que la composition artistique cesse d’exister, en tant que telle, si elle ne concerne plus l’être humain dans sa totalité. La qualité artistique, portée par des textes intelligents (pour ne pas danser idiot), en est l’un des premiers critères. C’est le cas pour cette sixième édition.
Rabah Mezouane
Journaliste et critique musical
Chargé de programmation
pour l’Institut du Monde Arabe