Je vous invite à lire cet article, paru dans le colonne
du quotidien algérien, El watan! Cet article met en
lumière un épisode inconnu de la seconde guerre
au cours duquel, les musulmans ont montré leur refus
du nazisme et leur solidarité active avec les victimes
de cette barbarie.
Dans Une résistance oubliée, la Mosquée de Paris,
un film de 29 minutes réalisé pour l’émission « Racines
deFrance 3 » en 1991, Derri Berkani restitue l’épisode
associant la Mosquée de Paris au sauvetage de juifs,
notamment des enfants. Le concept de l’émission de France 3 était de faire coïncider
l’histoire de l’immigration avec des moments d’histoire de France.
« A l’origine, je voulais faire un film sur la résistance des
Francs-Tireurs et Partisans algériens, qu’on appelait
"groupe kabyle",a commande venait de l’ORTF, c’était en
1974. Le film ne s’est pas fait. »
L’opportunité en est donnée à Derri Berkani en 1991 par
France 3.Les FTP algériens étaient désignés sous le vocable
de « groupe kabyle » par facilité de langage en usage chez
les FTP qui utilisaient les groupes de langues, pour permettre
une sécurité de transmission des consignes. L’immigration
algérienne de Paris, à l’époque, était le fait d’hommes jeunes,
seuls, d’origine rurale, essentiellement de Kabylie. Ils étaient
aux deux tiers analphabètes, ils vivaient dans la misère,
mais par le travail ils avaient intégré un autre univers, celui du
monde ouvrier, du prolétariat. Ils avaient acquis une
conscience prolétarienne dans les usines où ils travaillaient.
Ils étaient tous syndiqués, et ils participaient à toutes les
luttes ouvrières, auxgrèves... Une fois la guerre venue, ils
se sont engagés dans lesFrancs-Tireurs et Partisans (FTP),
nous précise Derri Berkani.
Mohamed Lakhdar, qui avait rejoint les
jeunesses communistes à 20 ans, était l’un d’entre eux.
Il s’était engagé dans l’action clandestine en 1940 et
était un des fondateurs, en 1942, des FTP. Il était
originaire de Tiaret. Il a été fusillé dans la nuit du 31
janvier 1943.
Derri Berkani relève que la démarche de la Mosquée
de Paris et de son recteur Si Kaddour Benghabrit obéissait
à des principes religieux, mais les FTP algériens, qui ont amené
des juifs pour les mettre à l’abri, étaient des laïcs, des ouvriers.
Leurs motivations n’étaient pas religieuses, elles ont concordé
avec celles des dirigeants de la Mosquée. Les FTP
avaient agi par « conscience prolétarienne ».
« C’était une action denationalistes algériens. »
Derri Berkani rappelle que Messali Hadj, dans El Hayet,
avait appelé à la résistance au nazisme. Ferhat
Abbas et Ali Boumendjel s’étaient prononcés contre
l’abrogationdes décrets Crémieux (décrets de naturalisation
des juifs algériens)
« On ne comprend pas cet engagement des ouvriers algériens,
si on ne situe pas le contexte. Ils étaient seuls. La solidarité
entre eux était une nécessité vitale.
A cette époque, la tuberculose faisait des ravages. Tout
ce qu’ils gagnaient, ils l’envoyaient à la famille. Malgré cela, ils
ont participé activement à l’action de libération de la France. »
Les juifs étaient amenés à la Mosquée de Paris avec l’accord
et le soutien de son recteur, Ben Ghabrit, le temps d’organiser
leur passage vers la zone libre ou le Maghreb. Aussi, la Mosquée
n’était pas un lieu de séjour, mais de passage. Les juifs algériens
qui parlaient arabe étaient plus faciles à dissimuler. Les souches
des tickets alimentaires donnés à la Mosquée ont fait apparaître
1732 passages (parachutistes anglais et enfants juifs
essentiellement). « En 1974, j’ai retrouvé à la Mosquée de Paris
un livre où il y avait un nombre incalculable d’enfants,
c’étaient des enfants juifs qu’on faisait passer pour des enfants
d’Algériens », nous dit Derri Berkani, sachant que l’immigration
algérienne était alors dans une très forte proportion le fait
d’hommes seuls. L’action des FTP n’était pas sans risques,
des collaborateurs, parmi lesquels il y avait Mohamed Saïd,
faisaient disparaître ceux qui tombaient entre leurs mains.
« Quand un résistant était pris, on lui brûlait les mains et le
visage avec de l’acide pour qu’il ne soit pas reconnu, avant
de l’enterrer au cimetière franco-musulman de Bobigny. »
Dans un tract en kabyle, ni daté ni signé, intitulé « Comme
tous nos enfants », ces FTP écrivent : « Hier, à l’aube,
les juifs de Paris ontété arrêtés, les vieillards, les femmes
comme les enfants, en exil comme nous, ouvriers comme nous,
ce sont nos frères et leurs enfants sont nos enfants. Si
quelqu’un d’entre vous rencontre un de ces enfants, il doit
lui donner asile et protection, le temps que le malheur passe. »
Derri Berkani a retrouvé ce tract cet hiver chez uncomptable
à Draâ El Mizan. Ce dernier l’a récupéré parmi des papiers
administratifs du propriétaire d’un bistrot, rue Château
des Rentiers, dont il s’est occupé des comptes.
Nadjia Bouzeghrane.