Les poubelles envahissent le désert
· Sacs en plastique, rallyes sauvages… des menaces écologiques
· Le tourisme vert, une revendication de circonstance
· A M’hamid Alghizlan, habitants et associations résistent
Deux mots et un drame: ceinture noire! Un cordon de déchets de trois km2 prend en étau M’hamid Alghizlan. Située au sud-est du pays, elle est l’une des 23 communes rurales de la province de Zagora. Voilà une publicité dont se seraient bien passés les 7.700 habitants. «Il faut sortir du centre de M’hamid pour épargner aux touristes-caravaniers de se retrouver face aux déchets!», commente Jamal Ben Razougui, membre de Al Intilaqa, ONG faisant partie d’un réseau d’associations locales.
Cette «pollution durable», comme la qualifie avec dérision la société civile locale, ne se limite pas à M’hamid. Les sacs en plastique, surtout, et autres détritus se propagent bien au-delà… Même le désert n’est pas épargné! Les ergs Sidi Naji, Zhar, Lihoudi ou encore Smar font partie des sites les plus touchés. Plusieurs campagnes de collecte ont été ponctuellement lancées depuis 2005. La dernière opération en date, qui a duré trois jours pour un coût global de 195.000 DH, remonte à juin 2008.
Une vingtaine de charrettes ont ramassé, avant de les incinérer, près de 400 kg de déchets. Ainsi, «un budget de 7.000 DH a été constitué grâce à l’apport de la commune et des hôteliers surtout», souligne Bachir Bousekka, vice-trésorier de l’association. Cette campagne a permis aussi de faire travailler 11 ouvriers. Une aubaine. Car M’hamid a été classée, lors du recensement de 2004, réalisé par le Haut commissariat au plan, à la tête des territoires les plus pauvres du Royaume. Le taux de pauvreté avoisine les 33% et dépasse de 2,5% la moyenne nationale. L’infrastructure décharnée de M’hamid accentue son profil tiers-mondiste. La collecte des déchets se fait grâce à une participation mensuelle de 5 ou 10 DH par foyer. Des charretiers-éboueurs sillonnent les ruelles, une fois tous les 2 jours, pour ramasser les poubelles. Et que fait la commune? Son président, Houssine Soufiani, membre du Rassemblement national des indépendants, indique que «les communes rurales n’ont pas le droit de percevoir la taxe d’édilité ni la taxe de séjour». Il oublie de mentionner tout de même que l’administration centrale reverse le produit de ces taxes. Quant au budget dont dispose le conseil, son président se garde de donner des détails. Pas de chiffres exacts n’en plus. Pourtant, cet élu local est à la tête de la commune depuis 1992! Certaines données laissent penser que la commune rurale de M’hamid parvient difficilement à joindre les deux bouts. Moulay Abdellah Eddahbi, l’un des conseillers communaux, avait déclaré auparavant (voir notre reportage du 8 janvier 2007) que «la commune paye 30 millions de DH de crédit au Fonds national d’équipement communal».
Une fondation hollandaise, Sahara Routs, s’est même vue refuser par la commune une autorisation pour planter des arbres! L’argument du président: il va «falloir trouver quelqu’un pour les arroser». La Fondation a fini tout de même par planter quelque 150 arbres près de Sidi Khali pour stopper la poussée des sables. Car la désertification fait également des ravages. Hamadi El Gasmi, l’un des grands militants de la société civile locale, ne mâche pas ses mots en parlant «d’incompétence» ou encore «de faillite de la gouvernance locale».
Les associations ont par ailleurs demandé, à plusieurs reprises, aux élus communaux de fixer au moins un terrain pour accueillir les déchets ou de mettre à disposition des habitants un camion de collecte. Nos sources sont presque unanimes, «les susceptibilités politiques plombent toute action efficace et durable». Car, au sein du conseil communal, il existe une opposition. Celle-ci compte notamment des hôteliers. Parmi eux, Ali Khoumani qui porte la bannière de l’USFP. Il est resté injoignable. Toutefois, le président de la commune balaye d’un revers ces propos en précisant que «l’intérêt général prime». Du côté des hôteliers, Sbaï Abbas, gérant de l’hôtel Iriqui, affirme que «si le problème persiste, c’est que les représentants de l’autorité de tutelle au niveau de la province ne sont pas à la hauteur». Cet hôtelier, propriétaire également d’une oasis à 50 km de M’hamid, souligne aussi que ce sont surtout «les touristes espagnols qui polluent et nuisent au désert».
Quoi qu’il en soit, M’hamid, et surtout le désert, son unique fonds touristique, continue à se battre contre les sacs en plastique et les déchets. La société civile locale, dont l’association Zaïla, a frappé à plusieurs portes. Ali Sbaï, fonctionnaire international de profession, a envoyé, en tant que coordinateur associatif, mai dernier par exemple, plusieurs courriers, dont L’Economiste détient copie. Leurs destinataires, la Fondation Mohammed VI pour la protection de l’environnement, le ministère du Tourisme, le secrétariat général de l’environnement, le wali d’Agadir… Parmi les propositions, la production d’objets naturels comme alternatifs aux sacs en plastique. Le soutien financier (100.000 DH) du ministère du tourisme a été sollicité…
«L’intérêt est là. Mais l’on souhaite qu’il soit suivi d’action», précise Sbaï. Natif de M’hamid, il a également collaboré à des films. «La sécheresse du cœur» a été produit par la BBC pour fêter en 2006 l’année internationale du désert. Une émission sur le développement durable sera diffusée le 17 octobre sur la chaîne francophone TV5. La pollution du désert est toujours au cœur du débat.
L’association Zaïla, soutenue notamment par des dons suisses, s’implique actuellement, avec des spécialistes du désert mauritaniens, maliens et nigériens, dans l’élaboration d’une charte sur la protection du désert. «Une réponse locale à un problème global». Et le désert en a bien besoin. Car, à part les déchets, les rallyes sauvages et l’invasion des quads le détruisent: les rares points de pâturages en souffrent. «La Libye et l’Algérie ont plus ou moins la chance que le tourisme du désert (rallye, quads, camps de bivouacs…) n’est pas aussi développé qu’au Maroc», commente Sbaï. A M’hamid, la population locale, surtout les faux guides qui accompagnent les caravanes de touristes, a une grande part de responsabilité dans cette tragédie écologique. La saison touristique s’étend sur 5 mois, de février à juin. Le reste de l’année, c’est la disette. On s’accroche..., de l’agriculture au tourisme et du tourisme à la débrouille! Comme quoi la pollution du désert a aussi des racines socio économiques.
Source :
http://www.leconomiste.com/